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De l’utopie californienne du digital à son désenchantement, un autre numérique est-il possible ? Partie 2 – Quelle alternative est possible ?

by Carole Ramstein 18 août 2023

Nous vous proposons de découvrir la suite de la retranscription de la table-ronde “De l’utopie californienne du digital à son désenchantement, un autre numérique est-il possible ?”, animée par Hubert Vialatte avec les intervenants :

  • Laurence Allard, Maîtresse de conférences, Sciences de la Communication
  • Aurélien Bellanger : auteur de 6 romans et chroniqueur au service de différents médias
  • Antoine Mestrallet, instigateur d’hérétique et enseignant à Sciences Po Paris et à l’ESCP
  • Chloé Sarda, développeuse front-end, certifiée Accessiweb, Qualité Web et Eco-conception

Comment proposer un numérique alternatif ?

Antoine Mestrallet : C’est ce que nous avons cherché à faire à travers Hérétique, une structure qui cherche à penser, créer et transmettre des numériques alternatifs. A l’origine, nous nous sommes rendu compte que les impacts des GAFA humains, écologiques, sociaux, politiques et même économiques étaient assez négatifs pour les entreprises françaises et européennes.

Nous avons donc essayé de comprendre les idéologies sous-jacentes de ce modèle : en quoi est-il très californien et individualiste, et pas forcément aligné avec nos modèles. Comment essayer de s’en extraire? Notre objectif a été d’imaginer un autre numérique : un qui ne soit pas forcément porté par des startups qui veulent conquérir le monde, ni par des entrepreneurs de génie majoritaires au capital et prenant toutes les décisions. Nous avons raisonné par “navigation négative“ je regarde ce qu’ils font et essayer d’aller dans l’autre sens.

Est-ce qu’on ne pourrait pas développer un numérique qui soit pertinent : ne pas mettre par défaut du numérique partout au maximum, mais se questionner sur la disponibilité ? Au lieu de chercher à faire quelque chose pour 8 milliards d’être humains, essayons de faire quelque chose d’ancré dans une culture et un territoire.

Par exemple, nous avons créé une application qui s’appelle Dérive, qui prend le contre-pied de Google Maps. Google Maps avait été créé comme un outil de supply chain pour optimiser le temps de trajet pour un public américain qui n’aime pas marcher. Dérives au contraire répond à la demande du “flâneur” parisien et donne la part belle à la surprise et l’intuition.

Nous sommes persuadés chez Hérétique, qu’il est possible d’imaginer des numériques adaptés localement et pertinents pour certains cas d’usage. Au lieu de voir tout comme un problème qu’on doit résoudre en apportant de l’efficacité, n’est-il pas plus intéressant de développer des compétences, réinstaurer des pratiques, susciter des émotions ?

Avez-vous d’autres projets en cours ou à venir ?

Antoine Mestrallet : Nous travaillons beaucoup sur le numérique et le temps : peut-on faire du numérique pour prendre du temps plutôt que d’en gagner ? Comment questionner le rapport au temps qui aujourd’hui est le même pour tout le monde et pas du tout subjectif ? Par exemple, prenez la notion de saison : le calendrier traditionnel japonais comprend 72 micro-saisons qui sont beaucoup plus ancrées dans le territoire et dans la nature que les nôtres. Cette problématique va donner naissance à un livre en premier lieu puis à plusieurs services.

Comment faire en sorte que les entreprises s’engagent pour un numérique compatible avec leurs engagements RSE ?

Antoine Mestrallet : La plupart des entreprises essaient difficilement de copier un modèle qui ne leur correspond pas. Nous travaillons par exemple avec des maisons de luxe qui souhaitaient à la base faire du numérique comme Amazon, ou des banques traditionnelles qui veulent copier les néo banques bien que leur proposition de valeur et leur modèle de sociétariat soient différents.

Quel lien le numérique a-t-il avec l’aménagement du territoire ?

Aurélien Bellanger : En novembre dernier, suite au rachat de Twitter par Elon Musk et au licenciement brutal de nombreux employés, il y a eu une rumeur faisant croire à son arrêt. Il y a toute une génération qui a grandi politiquement et socialement avec Twitter qui s’est résignée à se dire adieu. Cette situation était perçue comme la fin d’une merveilleuse utopie, de ce qui a été à un moment donné un espace de discussion exceptionnel. L’exemple de Twitter se rapproche des problématiques d’aménagement du territoire : c’est la disparition sous nos yeux d’un continent qui depuis une quinzaine d’années était central pour l’intelligence. Le fait qu’il disparaisse n’est donc pas anodin.

Le numérique est perçu comme un facteur de d’éloignement de la nature mais peut-il faire changer notre rapport à la nature, voire nous en rapprocher ?

Laurence Allard : Plus on continue à penser que la nature est en dehors de nous, qu’elle est observable et monitorable, plus on continue à penser hors sol et donc à avoir ce rapport extractiviste de domination et d’instrumentalisation d’un milieu qui nous fait vivre. De la même manière, avec le numérique, plus on continue à le raconter comme relevant de l’immatériel, plus on pense que pour le produire il n’y a pas besoin de ressources matérielles ou de travail humain, plus on contribue à miner notre propre moyen d’existence terrestre. Même des projets voulus plus citoyens demandent de la ressource.

Peut-on penser une écologie du numérique ? Quelles sont les bonnes pratiques ?

Laurence Allard : Le numérique pourrait s’inspirer de ce qui est en train d’être fait au niveau du cinéma et de l’audiovisuel où il y a une volonté de créer un circuit court entre imaginaire et matérialité, et de monter toute une économie en éco-production où les aides seront éco conditionnées.

A l’inverse, plus on fait le récit d’une absence de limites du point de vue des utilisateurs, plus on continue d’inventer ce que José Halloy appelle des “technologies zombies”, c’est à dire des objets qui sont morts nés parce qu’ils n’ont aucune viabilité mais qui prolifèrent. Alors que l’idéologie californienne a fait de l’autonomie une de ses valeurs, si on reprend les derniers travaux de Bruno Latour, c’est l’interdépendance qui est la valeur des terrestres : on a besoin des autres et de vivre avec notre milieu pour exister.

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En matière d’éducation au numérique, que faudrait-il faire qu’il nous manque aujourd’hui ?

Chloé Sarda : Le ministre a fait une annonce en janvier sur un programme d’éducation tourné sur le numérique qui a l’air assez intéressant sur le papier. Il traite de la formation des élèves aux outils et compétences du numérique, mais aussi à devenir un citoyen éclairé du numérique en apprenant par exemple les usages des réseaux sociaux, ou les enjeux de la protection de la vie privée. Il inclut également un volet sur le contrôle parental et la parité.

En termes de culture scientifique, y a-t-il un combat à mener ?

Chloé Sarda : Chez Kaliop, nous intervenons auprès des écoles. Par exemple, avec le programme Wi-Filles de FACE, nous essayons de donner une meilleure image de la tech auprès des jeunes filles pour qu’elles se projettent plus facilement dans des métiers qui sont vus comme techniques et scientifiques. C’est un travail de fond sur les représentations. Mais les entreprises deviennent davantage paritaires. Les embauches sont de plus en plus diversifiées chez Kaliop.

En tant que professionnels du numérique, comment rester “à la page” face à toutes ces évolutions ?

Chloé Sarda : La formation se fait beaucoup en interne, via les projets qui amènent de nouveaux challenges. On se forme ainsi beaucoup sur le terrain, en partageant nos compétences. On peut aussi faire des formations externes, même si c’est parfois compliqué. C’est un problème propre aux secteurs d’innovation : il est difficile de trouver des formations qui soient plus en avance que les sujets terrain.

Que peut-on conseiller aux porteurs de projets numériques pour les inciter à être plus responsables ?

Chloé Sarda : Nous avons un devoir de conseil à chaque étape d’un projet. Cela concerne par exemple l’éco-conception. Il est important d’expliquer à nos clients que le web n’est pas dématérialisé : que par exemple mettre une vidéo sur sa page d’accueil est esthétique mais qu’il y a un coût écologique, de rappeler les problématiques de fin de vie des projets et des logiciels, ou encore que 60% des fonctionnalités des sites ne sont quasiment jamais utilisées. C’est d’ailleurs pour cela que nous travaillons depuis longtemps nos projets en MVP (produit minimum viable), qui est un principe où on doit se débarrasser de toutes les fonctionnalités qui ne seraient pas indispensables sur un projet pour le bien du client, de l’utilisateur, du budget mais aussi de la planète.

D’autres sujets sont aussi abordés comme la fracture numérique, l’inclusion, ou encore l’accessibilité numérique. L’État a pour ambition de dématérialiser presque toutes ses démarches administratives. Il est impensable aujourd’hui de se dire qu’il y a des citoyens en France qui, faute de pouvoir accéder à des sites internet, ne pourront pas réaliser leurs cartes grises, payer leurs impôts ou faire leurs démarches bancaires.

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Il y a également les problématiques liées aux données : respect de la RGPD et Privacy ByDesign. Nous devons nous interroger sur la façon d’anonymiser des données mais surtout en amont réfléchir à pourquoi collecter ces données. Il faut savoir être sobre aussi à ce sujet et ne pas collecter des données juste pour faire de la data. Notre objectif est de faire des sites qui rendent service aux utilisateurs, qui contrôlent tout leur parcours de visite. Le but n’est pas de les piéger dans des comportements addictifs ou encore de les mettre dans des parcours d’achat non maîtrisés.

Enfin, Kaliop ne conseille pas à ses clients de tout dématérialiser par principe. La relation humaine et le lien social restent importants. Numériser un service n’est pas toujours la bonne décision.

 

Kaliop remercie l’ensemble des intervenants de cette table-ronde sur l’avenir du numérique. Retrouvez également la retranscription de la première partie de la conférence, ainsi que la vidéo de cette dernière.

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Carole Ramstein

Carole Ramstein

VP Marketing

Curieuse et touche à tout, Carole a navigué dans les océans du jeu vidéo, du multicanal et de l'édition, avant de poser ses valises chez Kaliop où elle est aujourd'hui VP marketing groupe.

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