RSE Numérique responsable

Agir face à l’éco-anxiété avec un numérique plus durable

by Chloé Sarda 3 novembre 2021

Nous étions présents à la 7ème édition de Green IT day 2021 pour réfléchir autour d’un sujet brûlant : “Quels usages pour un numérique responsable et durable ? Tous acteurs, tous responsables !”. En période de crise environnementale, sanitaire, sociale, au lendemain d’une panne mondiale concernant Facebook, Instagram et WhatsApp, l’accent a été mis sur les usages et les conséquences du numérique sur notre santé.

Les trois écologies

Anne Alombert, Enseignante-chercheuse en philosophie au sein de la chaire « Éthique, technologie et transhumanismes » a ouvert la keynote en citant “Les Trois Écologies” de Félix Guattari. Elle replace ainsi la question écologique dans une triple dimension : l’écologie environnementale, l’écologie sociale et l’écologie mentale.

Comme l’a rappelé Charline Schmerber, nous sommes devenus des sociétés borderlines. À l’échelle individuelle comme à l’échelle de la planète, nous sommes soumis à la même problématique de dépassement de nos limites et de nos ressources. Le “jour du dépassement de la Terre” a été créé pour prendre conscience de l’épuisement des ressources naturelles. Au niveau des individus, le même processus est en place et les nouveaux usages nous consomment au-delà de nos limites, parfois jusqu’à l’effondrement (burn out).

Lors de la table ronde, plusieurs sujets ont été évoqués dans ce sens. L’économie de l’attention entraîne des troubles de l’attention, c’est-à-dire de la concentration mais également de l’attention à l’autre. La captologie exploite les ressorts émotionnels et polarise les récits. La rhétorique de l’instantanéité, surenchérie par la rhétorique de l’urgence, désinvestit le présent et oblitèrent les projections vers l’avenir. L’hyper connexion et l’hyper consommation de l’information amplifient tous ces phénomènes et génèrent un stress permanent.

En parallèle, la sur-responsabilisation, liée en partie à la grande disponibilité des informations et aux récits émotionnels dystopiques, nous place en situation de dissonance cognitive. Nous prenons conscience, dans des rythmes propres à chacun, de l’impact de nos usages en même temps que de l’urgence de la crise. Cela révèle un sentiment d’impuissance, ou même de culpabilité, qui peut aller jusqu’à la dépression ou à l’effondrement.

Bien sûr, il ne s’agit pas de dénigrer les nouvelles technologies, mais bien de rappeler que, comme tous les outils, elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises, mais pas neutres pour autant. Elles ne sont pas de simples moyens mais sont bien devenues notre milieu, et par conséquent, nous transforment. Si nous sommes aujourd’hui tous des usagers des nouvelles technologies, il est maintenant nécessaire de devenir des praticiens. C’est-à-dire de passer de simple consommateur, dont on exploite les automatismes pour répondre à des modèles économiques, parfois jusqu’à l’addiction, à la pratique maîtrisée de ces dispositifs.

Bernard Stiegler, le philosophe du « Pharmakon », a laissé un enseignement central pour penser et agir : si le remède risque à chaque instant de devenir poison, le poison peut aussi devenir remède. C’est pourquoi il est important de partager de la connaissance et d’imaginer ensemble des dispositifs désirables et soutenables.

On peut faire une analogie par exemple avec les usages de la voiture. Une société et ses individus doivent comprendre et partager les règles, limites et enjeux des dispositifs de conduite (code de la route, sécurité, pollution, bénéfices, autonomie…) pour pouvoir faire des choix éclairés et devenir acteurs de leurs décisions. C’est pourquoi il faut agir à différentes échelles.

Agir à l’échelle individuelle pour retrouver la sérénité

On l’aura ainsi compris, l’éco anxiété et la solastologie ne sont pas seulement liées à une dimension environnementale, mais trouvent bien échos dans les dimensions sociale et mentale, en réaction à un sentiment de dysfonctionnement global et systémique du monde. C’est la souffrance que vivent les individus du fait des processus d’effondrement extérieur qui provoque en miroir un effondrement intérieur. Cette souffrance se manifeste par beaucoup d’émotions différentes au-delà de l’anxiété. 

Il ne s’agit pas de lutter contre ses émotions mais de les rééquilibrer avec des émotions plus positives. Charline Schmerber, Praticienne en psychothérapie, nous a alors rappelé à quel point il est important de trouver ses propres limites et de redevenir acteur de ses choix et de ses usages. Voici ses conseils en quelques points clés :

  • Réunir le corp et l’esprit, et ne pas laisser l’esprit tourner en boucle.
  • Donner une juste place aux émotions.
  • Modifier son rapport au temps, se réancrer dans le temps présent et lâcher prise sur les pertes du passé et les incertitudes du futur.
  • Relativiser les urgences, prioriser les tâches importantes. Ne pas répondre aux sollicitations (mails, notifications…) au fil de l’eau, mais prévoir des temps dédiés.
  • Comprendre ses vulnérabilités et établir ses limites.
  • Développer ses ressources et sa sécurité intérieure en trouvant des ancrages intérieurs lorsque l’on a le sentiment que le monde s’effondre autour.
  • Trouver de l’utilité et du sens comme rempart contre l’impuissance, en cherchant des engagements à sa mesure et non pas en voulant sauver le monde, ce qui est un rôle démesuré et voué à l’échec.
  • Continuer à rêver, à s’émerveiller et à stimuler l’imaginaire. Donald Winnicott fait de la créativité le signe d’une bonne santé physique.
  • Donner la preuve par l’exemple, et proposer la diversité comme richesse. Ne pas essayer de convaincre de ses positions car cela renforce les polarités et transmet les angoisses.
  • Mettre l’accent sur la sécurité relationnelle, la solidarité, l’entraide, la coopération (Pablo Servigne, “L’entraide, l’autre loi de la jungle”).
  • Développer le sentiment de reliance au Vivant.
  • Retrouver notre juste place dans l’écosystème, lâcher l’anthropocentrisme.
  • Regarder au-delà de soi, lâcher la vision occidentalo-centrée.
  • S’ouvrir à la dimension spirituelle, au plus grand que soit et lâcher les rôles sacrificiels.
  • Cultiver la gratitude.

Agir en tant que professionnel pour un design responsable

Le développement de nouvelles technologies et de nouveaux usages va plus vite que leur compréhension. Les règles sont ainsi dictées par le marketing et les profits des industriels et non pas par des usages sociaux. En tant que professionnels du digital, nous avons donc la responsabilité de permettre aux utilisateurs de devenir acteurs des dispositifs digitaux que nous créons.

Comme l’ont rappelé Anne Faubry et Aurélie Baton de l’association Designers Ethiques, porter le design responsable s’inscrit dans un cercle vertueux qui apporte de la valeur ajoutée au service. Voici quelques conseils à garder en tête à chaque étape d’un projet.

  • Mettre l’utilisateur au centre des services.
  • Donner la parole aux utilisateurs pour créer des services qui répondent aux usages (interviews, feedbacks).
  • Définir le besoin réel, lutter contre les obésiciels (surenchère de fonctionnalités dont l’utilisateur n’a pas l’utilité).
  • Bannir les darks patterns, conçus pour tromper ou manipuler l’utilisateur dans le but de l’amener à des actions qui ne sont pas dans son intérêt (fil infini, lancements automatiques des vidéos, leurre de l’urgence, notifications basées sur le principe de récompense aléatoire, parcours volontairement complexifié…).
  • Utiliser les techniques marketing efficaces avec pédagogie, sans mystification sur les objectifs (informer l’utilisateur que son parcours est suivi dans le but d’identifier les points de douleur et d’améliorer la fluidité du service, prévenir l’utilisateur des conditions avant qu’il ne s’engage dans un parcours long, communiquer autour des algorithmes de suggestion s’il y a un risque de bulle de filtres…).
  • Créer les conditions de la confiance en faisant des obligations légales des opportunités de réassurance plutôt que de chercher à contourner les lois. C’est l’occasion de communiquer sur le respect des droits utilisateurs avec pédagogie, si possible dans un vocabulaire grand public (informer sur les usages des données personnelles, les usages des cookies…).
  • Challenger le besoin de solutions tiers embarquées peu scrupuleuses (laisser par exemple l’utilisateur choisir son service de cartographie plutôt que de lui imposer une carte embarquée si ça n’est pas vraiment nécessaire, de même pour le partage sur les réseaux sociaux…).
  • Donner la juste information sur les impacts environnementaux des usages pour ne pas alimenter le flots des utilisateurs pollueurs qui s’ignorent et permettre à chacun de choisir son service en fonction de ses critères. Si possible donner des mesures fiables, sinon s’abstenir (évaluation des impacts GES ou énergétiques d’un service comme par exemple le service de retour gratuit d’Amazon, affichage de labels qualités reconnus…).
  • Concevoir et développer des services inclusifs, accessibles à tous et dans des conditions techniques diverses pour ne pas provoquer l’obsolescence par incompatibilité logicielle (peu de couvertures réseaux, off line, matériel moins récent…).
  • De manière générale, mettre en place les bonnes pratiques d’éco-conception.

Dans un écosystème numérique en mutation, les alertes écologiques et sociales vont avoir un réel impact sur notre manière de consommer, de concevoir et de développer des produits digitaux. Il est donc de notre responsabilité, professionnels du digital, de montrer l’exemple et de nous engager dans des projets digitaux plus verts, plus respectueux du consommateur et plus durables. 

 

Chloé Sarda

Chloé Sarda

Développeuse front-end

Développeur front-end certifiée en accessibilité, qualité web et écoconception, je veille à développer des solutions techniquement performantes et humainement responsables.

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